Opération « dénonciation élection »

La première action de l’association « Recours Constitution » sera le lancement, début septembre 2022, de l’opération « dénonciation élection » qui visera à faire abroger la loi instituant le système des parrainages préalables à l’élection du président de la république française. Dans cet objectif, nous avons élaboré le mémoire en requête ci-dessous dont le texte complet peut être également téléchargé au format PDF, et qui sera transmis auprès des juridictions compétentes.

Présentation de l’action par Christian Laurut, président de Recours Constitution

 

Présentation de l’action par Luc Laforets, trésorier de Recours Constitution

Présentation de l’action par Grégoire Lecocq, secrétaire de Recours Constitution

Texte du mémoire en requête pour l’abrogation  de l’alinéa I de l’article 3 de la loi organique du 16 novembre 1962 dit « système des parrainages »

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A Monsieur le président de la commission des Lois des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
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I – EXPOSE DES FAITS 

Dans son texte originel, la Constitution française du 4 octobre 1958 avait prévu de faire élire le Président de la république par un collège électoral composé d’environ 81.764 grands électeurs (parlementaires, conseillers généraux, élus municipaux), conférant ainsi à l’Assemblée nationale le privilège d’être la seule instance nationale élue au suffrage universel direct, et confirmant ainsi la légitimité historique de cette institution. Par ailleurs, cette disposition contrebalançait les pouvoirs élargis dont disposait le président de la République dans la nouvelle Constitution.
C’est ainsi que, le 21 décembre 1958, Charles de Gaulle fut élu 1er président de la Vème république selon cette procédure indirecte en application de cette constitution ainsi rédigée
4 ans plus tard, le 28 octobre 1962, Charles De Gaulle, par l’intermédiaire de l’article 11, déclencha un référendum qui modifiait la procédure de désignation du président de la république en introduisant la notion d’élection « au suffrage universel direct ».
Le décret n° 62-1127 du 2 octobre 1962 décidant de soumettre un projet de loi au référendum et publié au JORF du 2 octobre 1962 est ainsi libellé :
Le Président de la République, vu les articles 3, 11, 19 et 60 de la Constitution, le Conseil constitutionnel consulté dans les conditions prévues par l’article 46 de l’ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958, décrète :
Article premier – Le projet de loi annexé au présent décret sera soumis au référendum le 28 octobre 1962 conformément aux dispositions de l’article 11 de la Constitution
Article 2 – Les électeurs auront à répondre par OUI ou par NON à la question suivante :  » Approuvez-vous le projet de loi soumis au Peuple français par le Président de la République et relatif à l’élection du Président de la République au suffrage universel ?

Le texte du projet de loi soumis à référendum le 28 octobre 1962 et adopté sous la référence de loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 indique que l‘article 6 de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. 6. Le président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct. Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique »

==> Le 6 novembre 1962, la loi organique n° 62-1292 indique : 
L’ordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à l’élection du Président de la République est remplacée par les dispositions suivantes ayant valeur organique.
I – Quinze jours au moins avant le premier tour de scrutin ouvert pour l’élection du Président de la République, le Gouvernement assure la publication de la liste des candidats.
Cette liste est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées, dix-huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, à titre individuel ou collectif, par au moins cent citoyens membres du Parlement, membres du Conseil économique et social, conseillers généraux ou maires élus. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les cent signataires de la présentation, figurent des élus d’au moins dix départements ou territoires d’outre-mer différents.
Le Conseil constitutionnel doit s’assurer du consentement des personnes présentées.
Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste ne sont pas rendus publics.

==> Le 18 juin 1976,  la loi organique n° 76-528 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel  indique :

I. — Le deuxième alinéa du paragraphe I de  I’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel est modifié ainsi qu’il suit:- « Cette liste est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées, dix huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, par au moins cinq cents citoyens membres du Parlement, des conseils généraux, du conseil de Paris, des assemblées territoriales des territoires d’outre-mer ou maires. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des élus d’au moins trente départements ou territoires d’outre-mer, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département ou territoire d’outre-mer. »
II. — Le dernier alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 est modifié ainsi qu’il suit : « Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature. »

==> Le 25 avril 2016, la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 dite de « modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle »  modifie ces dispositions ainsi :

I.-Après le troisième alinéa du paragraphe I de l’article 3, sont insérés cinq alinéas ainsi rédigés : « Les présentations des candidats sont rédigées sur des formulaires, revêtues de la signature de leur auteur et adressées au Conseil constitutionnel par leur auteur par voie postale, dans une enveloppe prévue à cet effet, ou par voie électronique. Les formulaires et les enveloppes sont imprimés par les soins de l’administration conformément aux modèles arrêtés par le Conseil constitutionnel. Les modalités de transmission par voie électronique sont fixées par décret en Conseil d’Etat.

II – Le dernier alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 précitée est ainsi rédigé : « Au fur et à mesure de la réception des présentations, le Conseil constitutionnel rend publics, au moins deux fois par semaine, le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement présenté des candidats à l’élection présidentielle. Une fois envoyée, une présentation ne peut être retirée. Une fois déposée en application des cinquième à septième alinéas du présent I, une présentation ne peut être retirée. Huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, le Conseil constitutionnel rend publics le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement proposé les candidats. »

Parallèlement à cette évolution des dispositions législatives relatives aux modalités d’application de l’article 6 de la constitution, deux commissions gouvernementales ont réfléchi et proposé d’autres pistes.

==>En 2007, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, appelé plus communément comité Balladur, a suggéré la suppression des 500 parrainages d’élus pour pouvoir être candidat,  la sélection des candidats devant être faite par un collège d’environ 100 000 élus composé des parlementaires, des conseillers régionaux et généraux, des maires et des délégués des conseils municipaux. Ces derniers seraient sélectionnés à proportion de la population qu’ils représentent et l’ensemble du collège  soumis à une obligation de vote, à bulletin secret.

==> En 2012, la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, surnommée « commission Jospin », a suggéré de remplacer le parrainage par les élus par un parrainage par 150.000 citoyens, et de substituer la règle de l’équité à celle de l’égalité pour les temps de parole des candidats entre le moment où la liste officielle est connue et celui où la campagne commence ;

  • Selon la Commission, le système des parrainages ne peut être regardée comme satisfaisant car, même si tous les maires peuvent se prévaloir de la légitimité de l’élection, il ne va pas de soi de confier, pour l’essentiel, le soin de sélectionner les candidats à la plus haute charge de l’État aux responsables des collectivités territoriales les moins peuplées. Or 57 % des élus habilités à parrainer un candidat sont des maires de communes de moins de 1000 habitants. Ces élus sont par ailleurs les plus susceptibles de subir des pressions contradictoires, soit de la part des candidats déclarés eux-mêmes, soit de la part de partis qui souhaitent favoriser la démarche de tel ou tel candidat ou, au contraire, y faire obstacle.
  • La Commission relève enfin que le dispositif actuel est source d’inégalités entre candidats car les candidats soutenus par des partis ne disposant pas d’un réseau étendu d’élus susceptibles de les parrainer doivent consentir des efforts très importants pour recueillir les signatures requises. L’énergie ainsi déployée les prive d’un temps utile pour mener campagne auprès des électeurs.

==> Plus récemment, deux lois organiques  (29 mars 2021 et 25 octobre 2021) concernant la réglementation de l’élection présidentielle n’ont pas traité du domaine des parrainages et ne sont donc pas reproduites dans cette discussion

C’est dans le cadre du contexte ainsi posé que nous demandons l’abrogation du paragraphe 1 de l’article 3 de  la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 , de la loi organique n° 76-528 du 18 juin 1976 et de la loi organique n° 62-1292 6 novembre 1962, en nous fondant sur les deux éléments d’anticonstitutionnalité ci-après discutés.

II – DISCUSSION
II.1. Sur la non conformité constitutionnelle du paragraphe 1 de l’article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 et des suivantes, notamment la loi organique du  25 avril 2016 établissant les modalités de l’élection du président de la république, au motif qu’elles énoncent des modalités incompatibles avec le  critère de suffrage universel direct énoncé par  l’article 6 de la constitution de 1958

Depuis 1791, date à laquelle la France s’est dotée de la première constitution républicaine, il y a eu 15 constitutions dont la dernière en date et en vigueur actuellement est celle du 4 octobre 1958.
Parmi ces 15 constitutions, deux seulement ont institué l’élection du président de la république au suffrage universel direct : la constitution du 4 novembre 1848 et celle du 4 octobre 1958, suite à une révision constitutionnelle par référendum en date du 28 octobre 1962.
La constitution actuelle détermine l’élection du Président de la République  par son article 6 qui contient 3 phrases  :

  1. Le  Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage  universel direct.
  2. Nul  ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.
  3. Les modalités d’application du présent article sont fixées par une  loi organique

En première analyse, nous observons que cet article ne précise pas les conditions d’éligibilité des candidats, contrairement à la constitution de 1848 qui précise dans son Article 44. : « Le président doit être né Français, âgé de trente ans au moins, et n’avoir jamais perdu la qualité de Français » après avoir précisé dans son article 26 « Sont éligibles, sans condition de domicile, tous les électeurs âgés de vingt-cinq ans ».

En deuxième analyse, nous observons que l’article 6 de la constitution de 1958 renvoie ses modalités d’application, dont notamment l’éligibilité, aux conditions d’une loi organique à adopter.
Nous entendons démontrer que soumettre une condition de fond d’une loi constitutionnelle aux directives d’une loi de niveau inférieur est anticonstitutionnel, car les directives qui en résultent ont une véritable nature de révision sans pour autant avoir respecté les procédures prévues par l’article 89. Il en résulte que, par définition, une loi organique ne peut pas modifier une condition de fond d’un article de la constitution.

Il apparaît que la loi organique d’avril 2016 qui institue une limitation de l’éligibilité par le système des parrainages, opère une modification du fond et de l’esprit de l’article 6 qui, lu tel qu’il est et sans autre précision, renvoie à la jurisprudence de la constitution de 1848 et à la seule condition d’âge pour l’éligibilité. Par ailleurs, il est évident que le système des parrainages détourne le principe du suffrage universel direct en décidant d’une pré-élection de quelques candidats par un collège restreint d’élus, le suffrage populaire n’intervenant, en dernier ressort, que pour exercer son choix sur le reliquat décidé par ledit collège restreint.

Il s’agit en réalité d’un suffrage indirect, la segmentation n’intervenant pas sur l’électeur, mais sur le candidat. La loi organique qui introduit cette segmentation apparaît donc contraire à l’éthique et à la lettre de la  constitution de la république et à l’interprétation qui en est issue de l’article 6, à défaut d’avoir ou de pouvoir inscrire en toutes lettres des restrictions d’éligibilité clairement énoncées dans le corps même de cet article 6.

II.2. Sur la non conformité constitutionnelle du paragraphe 1 de l’article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 et des suivantes, notamment la loi organique du  25 avril 2016 établissant les modalités de l’élection du président de la république, au motif qu’elles énoncent un critère d’inéligibilité dans des conditions contraires aux articles 6 et 8 de la DDHC.

Les nations traversent comme les individus des âges différents. Et les principes qui les gouvernent ont des phases successives selon les différents degrés de maturité auxquels parviennent les peuples qui les constituent. C’est pourquoi, nous, gens du peuple, nous réclamons plus de liberté et d’égalité à mesure que notre sens de la démocratie et de la justice s’épanouit.

Pourtant, nous ne réclamons pas aujourd’hui davantage de liberté et d’égalité, non, ce que nous réclamons, c’est de pouvoir disposer de nos droits fondamentaux tels que les principes de la démocratie et de la justice les proclament solennellement dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Nous réclamons hautement l’application du droit constitutionnel en dénonçant fermement le droit inconstitutionnel des élus de présenter un candidat dans le cadre de l’élection de la présidence de la République Française. Nous réclamons simplement le droit, rien que le droit, tout le droit.

Nous allons voir ensemble que le législateur et avec lui le peuple, en enveloppant la constitution de lois et d’interprétations contraires à ses principes, en est parvenu à l’anéantissement des principes mêmes de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Le droit d’égalité que nous réclamons est celui de l’article 6 de la Déclaration de 1789 :
« La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Le droit de liberté que nous réclamons est celui de l’article 8 de la Déclaration de 1789 :
« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
Les principes de droit sont posés, observons sous leurs lumières ce que nous dénonçons : le droit de présenter. 

Mais, qu’est-ce ce que le droit de présenter ?

Ce droit que l’on nomme dans le langage courant « parrainage » provient de la loi organique 62- 1292 du 6 novembre 1962. C’est le droit que possède certains élus, qui figurent dans le texte en vigueur mais dont la liste est trop longue pour que nous la citions ici, c’est le droit pour eux, en qualité de citoyen membre de telle institution ou de telle administration, c’est à dire en qualité d’élu, de proposer à l’élection présidentielle un candidat. Seules les personnes qui ont été présentées par plus de 500 de ces « élus » sont éligibles à la présidence de la république, en étant inscrite sur la liste des candidats par le conseil constitutionnel.

En une phrase, le droit de présenter équivaut au droit d’exclure.

Oui, convenir d’un certain degré de signataires dans un certain ordre de notabilité, et en faire une condition d’éligibilité, c’est frapper de façon presque systémique, tous ceux qui sont hors de cet ordre, c’est prononcer contre eux l’exclusion, c’est les déposséder d’un droit fondamental, la liberté politique, en prononçant quasi mécaniquement contre eux la peine d’inéligibilité. Certes temporaire, certes pour une seule élection, mais néanmoins l’inéligibilité.

II.2.1. Incompatibilité de la loi organique avec l’article 6 de la DDHC traitant de l’égalité

Sur l’égalité, nous considérons en vertu de l’article 6 de la déclaration de 1789, que « tous les citoyens étant égaux [aux yeux de la loi] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », et qu’en conséquence de cet énoncé, le droit de présenter est contraire à l’égale admissibilité pour un mandat électif.
Cette interprétation de la contradiction entre le droit de présenter et l’article 6 est d’ailleurs celle qu’en ont fait les rédacteurs et les délibérants de la Déclaration de 1789 lorsque travaillant aux lois constituantes, ils adoptèrent quatre mois plus tard, unanimement, l’article suivant (Moniteur Universel du 10 décembre 1789) :
« Art II Toutes les places des municipalités et assemblées administratives devant être électives, tous droits de présentation ou de nomination, de présence ou présidence dans les municipalités ou assemblées administratives, attachés à la possession de certaines terres, aux fonctions de commandant, aux évêchés, archevêchés, ou tel autre que ce puisse être, sont entièrement abolis. »

Pour des raisons qui nous échappent le décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités. ne paraîtra pas sous la forme adoptée mais sous la suivante, qui continue néanmoins d’opposer la voie élective et le droit de présenter, en établissant dans un article la voie d‘élection, et en abolissant le droit de présentation à l’article qui lui fait immédiatement suite :
« II. Les Officiers & Membres des Municipalités actuelles seront remplacés par voie d’élection.
III. Les droits de présentation, nomination ou confirmation, & les droits de présidence ou de présence au Assemblées Municipales, prétendus ou exercés comme attachés à la possession de certaines terres, aux fonctions de Commandant de Province ou de Ville, aux Evêchés ou Archevêchés, & généralement à tel autre titre que ce puisse être, sont abolis. Aucune préséance ne peut être revendiquée sur l’élection par aucun dépositaire, élu ou non, d’une fonction publique. »

Ceci constituerait une violation flagrante du principe d’égalité au regard de la loi visé par l’article 6 de la Déclaration de 1789. Principe cardinal ici, puisque le rédacteur a jugé bon de le répéter dans la même phrase par les mots « égaux » et « également ». Le « également », inutile sinon, souligne ici un principe de capacité identique pour tous les citoyens. Nonobstant les autres arguments des réclamants, c’est en premier lieu l’application de ce principe qui justifie notre requête

Néanmoins, l’honnêteté intellectuelle des réclamants admettra une limite à l’égalité de l’article 6. C’est la limite qui réside dans l’acceptation du sens du mot « admissible » par les délibérants de la Déclaration de 1789. La version de notre article 6 en vigueur tire effectivement son origine de la version ci-après, rédigé par l’évêque d’Autun, tel qu’en atteste le Moniteur Universel du 20 aout 1789 :

« La loi étant l’expression de la volonté générale, tous les citoyens doivent concourir personnellement ou par représentation à sa formation ; elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont susceptibles de toutes places, de tous les emplois publics, selon leur capacité. »

Les mots « susceptible de » sont remplacés dans la version promulguée par « admissible à », dont le sens est défini quelques instants plus tôt par le député Mounier, en ces termes : « La déclaration des droits étant le guide du législateur, on ne doit pas employer des expressions qui puissent le gêner ; il est possible que dans la législation on déclare le genre de propriété nécessaire pour être juge ou comptable des finances, et il ne faut pas compromettre des idées de cette importance par des expressions vagues ; on ne peut pas dire que tous les citoyens ont le droit d’être appelées, mais qu’ils sont admissibles sans distinction de naissance, suivant leurs talents ou leur capacité. ».

L’admissibilité de l’article 6 admet donc implicitement l’éligibilité censitaire ou capacitaire. Mais le droit de présenter ne relève ni du principe censitaire ni du principe capacitaire, puisqu’il est extérieur à la qualité du candidat, il est le droit d’un tiers sur lui, celui d’un « élu ».

L’article 6 actuel, qui admet implicitement une possible limitation de l’admissibilité sur la base de critères de capacité, de vertu et de talents ne définit pas  pour autant qui serait habilité à en décider, ce qui d’un point de vue juridique annule purement et simplement cette condition implicite, à défaut d’admettre l’arbitraire de toute décision de ce type.

Qu’est  ce  que  l’éligibilité  ?   Il  n’existe  malheureusement  pas  dans  la  loi  de  définition  exacte  de  ce  mot.  Néanmoins,  il  est  admis que l’éligibilité  est l’ aptitude légale d’une personne à se porter candidate. S’il ne comprend qu’à nous d’en donner une définition aussi précise que claire,  nous  nous  bornerons  à  paraphraser  de  la  sorte  l’acceptation  du  mot  :  l’éligibilité  d’un  citoyen  est  sa  capacité  légale  à être admis candidat en se  présentant  au  suffrage  des  autres  citoyens  en âge et capacité d’être admis à voter.   Cette  notion  d’éligibilité  est  le  pendant  nécessaire  du  droit  d’élire  dans  la  cinquième  République . La  combinaison  de  la  liberté  à  se  présenter  avec  le  droit  d’élire est constitutive de la  souveraineté  du  peuple.  En  effet,  l’article  3  de  la  constitution  de  1958  stipule  que « la  souveraineté  nationale  appartient  au  peuple  qui  l’exerce  par  ses  représentants  et  par  la  voie  du  référendum ».

En  d’autres  termes le peuple, considéré en tant que pluralité des citoyens constitué en nation,  en déléguant  ses pouvoirs,  se  réserve  la  fonction  active  du  choix  de  ceux  à qui il en  confie l’exercice. Ainsi le peuple  exerce  sa  souveraineté en désignant lui-même ses représentants qui  produiront  les  lois  et  les  commandements  qui  devront  le  régir . Il  en  résulte  que  la  souveraineté  du peuple est amoindrie proportionnellement au  degré  de  limitation de  sa liberté  de  choix  dans  la  désignation de sa représentation.

Dans  ce  constat,  la liberté  de  se  présenter  au  suffrage  de  ses  concitoyens  ne  peut  pas  être  limitée  sans  que  la  souveraineté  elle-même  ne  soit  remise en cause.  Depuis  la  révolution  française ,  il  ne  s’agit  plus  en  France  d’être  présenté  au souverain, mais  d’être  éligible,  c’est à  dire  de  se  présenter  soi-même à son suffrage.

Or, la loi organique introduit une notion nouvelle et inconnue du code électoral   « la condition de candidature ». Le code électoral, notamment l’article L44 ne parle que de « condition d’éligibilité », soumise à des critères très précis et objectifs. Nous prétendons démontrer que la « condition de candidature » introduite par la loi organique est incompatible  avec l’article L44 car confondue avec la « condition d’éligibilité »
En effet les conditions d’éligibilité expressément stipulée par le code électoral sont les suivantes : minorité d’âge, tutelle, curatelle, condamnation pénale, etc.. Il n’est pas fait état d’autres conditions, notamment celles de parrainages stipulées par la loi organique. Il est également à noter que ces conditions sont de nature objective, c’est à dire mesurable ou évaluable à l’aide d’outils scientifiques en l’état des connaissances actuelles, d’une part, et , que ces conditions correspondent à la considération que toute limitation à l’exercice des droits civiques ne peut s’interpréter que restrictivement tel que l’énonce le conseil constitutionnel dans sa décision  n°  69-18  PDR  du  17  mai  1969 (Ducatel contre Krivine). Il en résulte que la loi organique de 1962,  dans sa version en vigueur au 26 avril 2016 ne peut restreindre l’éligibilité sans entrer en contradiction avec l’arreté précité du conseil constitutionnel qui n’admet aucune extension des critères de restriction à l’exercice d’un droit civique.

II.2.2.  Incompatibilité de la Loi organique avec l’article 8 de la DDHC traitant de la liberté
Sur la liberté, nous considérons en vertu de l’article 8 de la Déclaration de 1789, « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » et qu’en conséquence de cet énoncé, nous entendons démontrer que le droit de présenter (dénommé couramment système des parrainages) est attentatoire à la liberté politique de se présenter pour une fonction élective.

Cette interprétation du caractère attentatoire à la liberté du droit de se présenter à une élection se déduit de la jurisprudence établie par les membres du conseil constitutionnel. Le conseil constitutionnel considère en effet dans le point 4 de sa QPC 2010.06 (Journal officiel du 12 juin 2010, page 10849, texte n° 70) que « le principe d’individualisation des peines qui découle de l’article 8 [de la Déclaration de 1789] implique que la peine emportant l’interdiction d’être inscrit sur une liste électorale et l’incapacité d’exercer une fonction publique élective qui en résulte ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. ».

La forme, pour ne pas dire la procédure, au terme de laquelle sont exclus certains candidats est la suivante : les « élus » se constituent par correspondance en jurés pour rendre leur verdict, je présente untel à l’exclusion de tous les autres ; le conseil constitutionnel reçoit le verdict, qui prononce alors avec l’éligibilité d’un petit nombre, par défaut, l’inéligibilité pour l’élection à venir de toute personne ne convenant pas au degré de signataires établis pour figurer sur la liste des candidats à la présidence de la République. Cette procédure ne tient pas compte des circonstances propres à chaque espèce. Nous ne possédons aucune garantie quant à savoir si les « élus » ont entendu la défense de l’accusé en inéligibilité présidentielle, sans parler du juge qui prononce le verdict.

Pourtant, la rigueur et, encore une fois, l’honnêteté intellectuelle nous oblige à saper l’argument jurisprudentiel du conseil constitutionnel, même s’il tourne en notre faveur. En effet, le principe d’individualisation des peines ne découle pas de l’article 8. C’est au contraire le principe d’égalité des peines et de procédure équitable qui en découle.

L’article 8, avec l’article 9 ( Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi) dont il est indissociable, sont la source directe de l’article 14 du code procédure civile et de manière générale de toute la philosophie du droit français depuis la révolution : l’abolition des procédures secrètes et de l’arbitraire. Or est-ce un procès équitable que celui qui retire sa liberté politique de se présenter à une fonction élective sans autre forme de procès que celle que nous avons déjà décrit, où les accusés ne sont pas, pour la plupart, entendu ni par les jurés, ni par le juge pour déterminer la validité de sa condition de candidature ?

Un jugement équitablement rendu peut seul entreprendre sur la liberté. Il ne devrait jamais se faire sentir le besoin de prouver que les représentants de la Nation doivent se présenter à la souveraineté du suffrage sans être victime de l’arbitraire. La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum, nous dit l’article 3 de la constitution de 1958. Il n’est aucune puissance, il n’est aucune fonction publique, exécutive, législative, judiciaire et administrative qui n’émane d’elle. Mais comment le peuple peut-il élire librement ses représentants si l’arbitraire limite son choix ?

Le droit de présenter, ce droit d’exclure, c’est l’arbitraire contre la liberté individuelle, contre l’égalité, et contre la souveraineté nationale toute entière. Victrix causa diis placuit sed victa Catoni, écrivait le poète latin. La cause du vainqueur plait aux dieux mais celle du vaincu plait à Caton. L’abolition du droit de présenter est une cause juste, ne craignons pas de déplaire au conseil des sages.

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Par ces motifs et tous autres utiles à produire ou à suppléer, nous demandons à l’Etat français de faire abroger l’alinéa 1 de l’article 3 de la loi du 16 novembre 1962 (version en vigueur aujourd’hui) précisant les modalités d’application de l’article 6 de la constitution, ainsi que les dispositions attenantes contenues dans le paragraphe 11 de l’alinéa II et le paragraphe 1 de l’alinéa V de l’article 3 de la même loi.

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