Pour une suppression de la Cour de Justice de la République (CJR)

Le 30/11/2023, M. Julien BAYOU, M. Jérémie IORDANOFF, députés, ont déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi constitutionnelle visant à supprimer la Cour de Justice de la République. Informé de cette démarche, Recours Constitution s’en est saisi et l’a soumise à une analyse critique qui a débouché sur une proposition modifiée (ci-après) s’appuyant sur un mémoire critique de 13.303 mots (téléchargeable en pdf)

Proposition de loi constitutionnelle visant à supprimer la Cour de Justice de la République, présentée par M. Julien BAYOU, M. Jérémie IORDANOFF, députés, le 30/11/2023 et modifiée par Recours Constitution le 11/03/2024

Exposé des motifs

La Cour de Justice de la République a été créée par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 aux articles 68‑1 et 68‑2 de notre Constitution. À ce titre, les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions ‑ et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis ‑ devant la Cour de Justice de la République. La composition et le fonctionnement de cette juridiction d’exception ont été fixés par la loi organique du 23 novembre 1993. En particulier, la Cour est composée de trois magistrats professionnels du siège à la Cour de cassation ainsi que de douze parlementaires (six élus par l’Assemblée nationale et six élus par le Sénat).

L’ouverture de la procédure aux particuliers est plus que partielle : la constitution de partie civile étant exclue devant la Cour. Cette révision constitutionnelle, qui se voulait conforme au principe de séparation des pouvoirs défini dans l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 en empêchant que les membres de l’exécutif puissent être jugés par les magistrats judiciaires, n’a pas atteint son objectif en raison d’une formulation trompeuse instituant, en réalité, une confusion des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaire dans le cadre du fonctionnement de la Cour de Justice de la République.

En effet, la composition même de la Cour est une incursion directe du pouvoir législatif, puisqu’elle introduit douze parlementaires au sein de l’autorité judiciaire.
Nul ne remet en cause la probité des parlementaires juges qui décident en leur âme et conscience à partir des faits qui leur sont présentés. Le problème est structurel et intrinsèque à cette composition mixte entre des magistrats et des parlementaires jugeant un membre du Gouvernement.

Au‑delà de la composition de la Cour, de nombreux éléments procéduraux tendent à affaiblir encore le principe de séparation des pouvoirs. Notamment, Le procureur général près la Cour de cassation, chargé de porter l’accusation contre les ministres accusés par des citoyens ordinaires, est en outre nommé par le chef de l’État, donc sous l’autorité hiérarchique de l’exécutif et soumis à une possible sanction disciplinaire. L’immixtion du pouvoir exécutif au sein du pouvoir judiciaire est donc, de ce fait, caractérisée et problématique. Par ailleurs l’absence de constitution de partie civile est un manquement grave à l’équité judiciaire d’un point de vue démocratique.

Il apparaît que, nonobstant la nécessité de rejeter toute garantie d’impunité ou d’immunité pour les dirigeants politiques, ces derniers ne sauraient néanmoins être considérés comme des justiciables ordinaires. Cela est vrai pour la double raison qu’ils sont les représentants du peuple souverain, d’une part, et qu’ils pèsent sur les enjeux fondamentaux pour l’avenir de la nation toute entière, d’autre part. C’est pourquoi, n’étant pas des justiciables ordinaires, les infractions, délits et crimes qu’ils commettent en sont d’autant plus graves.
L’article 2 du Titre 1 de la Constitution définissant la souveraineté stipule que le principe de la république est « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Son prolongement judiciaire est donc tout naturellement « jugement par le peuple ». En effet si le gouvernement n’émane que du peuple, s’il n’existe que par le peuple et qu’il ne gouverne que pour le peuple, il ne peut donc être jugé que par le peuple.

De ce point de vue, il apparaît qu’aucune juridiction existante, Cour de Justice de la République ou autre, n’est, en réalité, adaptée au traitement de leur responsabilité particulière et que seule une juridiction émanant du peuple lui-même pourrait être légitime et appropriée à ce traitement.

C’est pour ces motifs que nous proposons de supprimer la Cour de justice de la République afin que les ministres soient jugés par un tribunal populaire, dont les modalités de fonctionnement seront déterminés par une loi organique

Contenu de la proposition de loi constitutionnelle

L’article unique de la proposition de loi constitutionnelle propose une réécriture des articles 68‑1 à 68‑3 de la Constitution dans un nouvel article 68‑1. L’article 68‑1 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

  • A la fin, les mots : « pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis » sont remplacés par les mots : « pénalement responsables, devant le peuple, des actes qui ne se rattachent pas directement à l’exercice de leurs attributions, y compris lorsqu’ils ont été accomplis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ».
  • Est ajouté un alinéa ainsi rédigé : « Ils sont également pénalement responsables devant le peuple des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Leur responsabilité peut être mise en cause à raison de leur inaction si cette inaction a causé un préjudice au peuple, sans tenir compte d’autres considérations.»

2° Les deuxième et troisième alinéas sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés : « Ils sont poursuivis et jugés devant un tribunal populaire composé uniquement de citoyens non élus et non salariés de l’administration publique. Le ministère public, la juridiction d’instruction ou toute personne qui se prétend lésée par un acte mentionné au deuxième alinéa saisit la commission des requêtes du Tribunal Populaire. La commission apprécie la suite à donner à la procédure et en ordonne soit le classement, soit la transmission au procureur général près le Tribunal Populaire. »

« La loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »

II. – Les articles 68‑2 et 68‑3 de la Constitution sont abrogés.

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