Petit plaidoyer pour l’abolition du droit des élus de présenter un candidat dans le cadre de l’élection de la présidence de la République Française

Les nations traversent comme les individus des âges différents. Et les principes qui les gouvernent ont des phases successives selon les différents degrés de maturité auxquels parviennent les peuples qui les constituent. C’est pourquoi, nous, gens du peuple, nous réclamons plus de liberté et d’égalité à mesure que notre sens de la démocratie et de la justice s’épanouit.

Pourtant, nous ne réclamons pas aujourd’hui davantage de liberté et d’égalité, non, ce que nous réclamons, c’est de pouvoir disposer de nos droits fondamentaux tels que les principes de la démocratie et de la justice les proclament solennellement dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Nous réclamons hautement l’application du droit constitutionnel en dénonçant fermement le droit inconstitutionnel des élus de présenter un candidat dans le cadre de l’élection de la présidence de la République Française. Nous réclamons simplement le droit, rien que le droit, tout le droit.

Nous allons voir ensemble que le législateur et avec lui le peuple, en enveloppant la constitution de lois et d’interprétations contraires a ses principes, en est parvenu à l’anéantissement des principes mêmes de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Le droit d’égalité que nous réclamons est celui de l’article 6 de la Déclaration de 1789 :

« La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Le droit de liberté que nous réclamons est celui de l’article 8 de la Déclaration de 1789 :

« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Les principes de droit sont posés, observons sous leurs lumières ce que nous dénonçons : le droit de présenter. Mais, qu’est-ce ce que le droit de présenter ?

Ce droit que l’on nomme dans le langage courant « parrainage » provient de la loi organique 62- 1292 du 6 novembre 1962. C’est le droit que possède certains élus, qui figurent dans le texte en vigueur mais dont la liste est trop longue pour que nous la citions ici, c’est le droit pour eux, en qualité de citoyen membre de telle institution ou de telle administration, de proposer à l’élection présidentielle un candidat. Seules les personnes qui ont été présentées par plus de 500 de ces « citoyens membres » sont éligibles à la présidence de la république, en étant inscrite sur la liste des candidats par le conseil constitutionnel.

En une phrase, le droit de présenter équivaut au droit d’exclure.

Oui, convenir d’un certain degré de signataires dans un certain ordre de notabilité, et en faire une condition d’éligibilité, c’est frapper de façon presque systémique, tous ceux qui sont hors de cet ordre, c’est prononcer contre eux l’exclusion, c’est les déposséder d’un droit fondamental, la liberté politique, en prononçant quasi mécaniquement contre eux la peine d’inéligibilité. Certes temporaire, certes pour une seule élection, mais néanmoins l’inéligibilité.

Sur l’égalité, nous considérons en vertu de l’article 6 de la déclaration de 1789, que « tous les citoyens étant égaux [aux yeux de la loi] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents », et qu’en conséquence de cet énoncé, le droit de présenter est contraire à l’égale admissibilité pour un mandat électif.

Cette interprétation de la contradiction entre le droit de présenter et l’article 6 est d’ailleurs celle qu’en ont fait les rédacteurs et les délibérants de la Déclaration de 1789 lorsque travaillant aux lois constituantes, ils adoptèrent quatre mois plus tard, unanimement, l’article suivant (Moniteur Universel du 10 décembre 1789) :

« Art II Toutes les places des municipalités et assemblées administratives devant être électives, tous droits de présentation ou de nomination, de présence ou présidence dans les municipalités ou assemblées administratives, attachés à la possession de certaines terres, aux fonctions de commandant, aux évêchés, archevêchés, ou tel autre que ce puisse être, sont entièrement abolis. »

Pour des raisons qui nous échappent le décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités. ne paraîtra pas sous la forme adoptée mais sous la suivante, qui continue néanmoins d’opposer la voie élective et le droit de présenter, en établissant dans un article la voie d‘élection, et en abolissant le droit de présentation à l’article qui lui fait immédiatement suite :

« II. Les Officiers & Membres des Municipalités actuelles seront remplacés par voie d’élection.

III. Les droits de présentation, nomination ou confirmation, & les droits de présidence ou de présence au Assemblées Municipales, prétendus ou exercés comme attachés à la possession de certaines terres, aux fonctions de Commandant de Province ou de Ville, aux Evêchés ou Archevêchés, & généralement à tel autre titre que ce puisse être, sont abolis. »

Aucune préséance ne peut être revendiquée sur l’élection par aucun dépositaire, élu ou non, d’une fonction publique.

Néanmoins, l’honnêteté intellectuelle des réclamants admettra une limite à l’égalité de l’article 6. C’est la limite qui réside dans l’acceptation du sens du mot « admissible » par les délibérants de la Déclaration de 1789. La version de notre article 6 en vigueur tire effectivement son origine de la version ci-après, rédigé par l’évêque d’Autun, tel qu’en atteste le Moniteur Universel du 20 aout 1789 :

« La loi étant l’expression de la volonté générale, tous les citoyens doivent concourir personnellement ou par représentation à sa formation ; elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont susceptibles de toutes places, de tous les emplois publics, selon leur capacité. »

Les mots « susceptible de » sont remplacés dans la version promulguée par « admissible à », dont le sens est défini quelques instants plus tôt par le député Mounier, en ces termes : « La déclaration des droits étant le guide du législateur, on ne doit pas employer des expressions qui puissent le gêner ; il est possible que dans la législation on déclare le genre de propriété nécessaire pour être juge ou comptable des finances, et il ne faut pas compromettre des idées de cette importance par des expressions vagues ; on ne peut pas dire que tous les citoyens ont le droit d’être appelées, mais qu’ils sont admissibles sans distinction de naissance, suivant leurs talents ou leur capacité. »

L’admissibilité de l’article 6 admet donc implicitement l’éligibilité censitaire ou capacitaire. Mais le droit de présenter ne relève ni du principe censitaire ni du principe capacitaire, puisqu’il est extérieur à la qualité du candidat, il est le droit d’un tiers sur lui, celui d’un « citoyen membre ». Nous pensons ce principe qui découle de l’admissibilité contraire à la démocratie, mais en l’absence de révision de la déclaration des droits, qui en éliminerait les dernières traces de l’ancien régime, nous en acceptons, contrit, la légalité.

Sur la liberté, nous considérons en vertu de l’article 8 de la Déclaration de 1789, « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » et qu’en conséquence de cet énoncé, le droit de présenter est attentatoire à la liberté politique de se présenter pour une fonction élective.

Cette interprétation du caractère attentatoire à la liberté du droit de se présenter à une élection se déduit de la jurisprudence établie par les membres du conseil constitutionnel. Le conseil constitutionnel considère en effet dans le point 4 de sa QPC 2010.06 (Journal officiel du 12 juin 2010, page 10849, texte n° 70) que « le principe d’individualisation des peines qui découle de l’article 8 [de la Déclaration de 1789] implique que la peine emportant l’interdiction d’être inscrit sur une liste électorale et l’incapacité d’exercer une fonction publique élective qui en résulte ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. »

La forme, pour ne pas dire la procédure, au terme de laquelle sont exclus certains candidats est la suivante : les « citoyens membres » se constituent par correspondance en jurés pour rendre leur verdict, je présente untel à l’exclusion de tous les autres ; le conseil constitutionnel reçoit le verdict, qui prononce alors avec l’éligibilité d’un petit nombre, par défaut, l’inéligibilité pour l’élection à venir de toute personne ne convenant pas au degré de signataires établis pour figurer sur la liste des candidats à la présidence de la République. Cette procédure ne tient pas compte des circonstances propres à chaque espèce. Nous ne possédons aucune garantie quant à savoir si les « citoyens membres » ont entendu la défense de l’accusé en inéligibilité présidentielle, sans parler du juge qui prononce le verdict.

Pourtant, la rigueur et, encore une fois, l’honnêteté intellectuelle nous oblige à saper l’argument jurisprudentiel du conseil constitutionnel, même s’il tourne en notre faveur. En effet, le principe d’individualisation des peines ne découle pas de l’article 8. C’est au contraire le principe d’égalité des peines qui en découle. Mais pas uniquement.

L’article 8 (et le 9 dans sa suite logique d’unité de la raison) ont été proposé par le député Duport lors de la séance de l’assemblée nationale du 22 aout 1789. Nous ne disposons pas du discours entier de Duport mais le Moniteur Universel (du 21 au 23 aout) dont nous reproduisons la lettre ci-dessous énonce assez clairement les principes de cet article :

« M. Duport parle ensuite. Il étend ses vues sur une partie très intéressante de notre code criminel, et fait sentir que les lois douces et humaines contre les coupables, font la gloire des Empires et l’honneur des Nations. Il expose qu’il existe en France un usage barbare de punir les coupables, lors même qu’ils ne le sont pas encore déclarés ; qu’il a vu deux fois les cachots de la Bastille ; qu’il a vu ceux de la prison du Châtelet, et qu’ils sont mille fois plus horribles ; que cependant c’est une vérité que les précautions que l’on prend pour s’assurer des coupables ne font pas partie des peines. C’est d’après ces idées qu’il propose le projet suivant ; deux principes en sont la base, l’égalité des peines pour les mêmes délits, et la douceur dans les moyens de s’assurer des coupables.

Art. Ier. La loi ne peut établir de peines que celles qui sont strictement et évidemment nécessaires ; et le coupable ne peut être puni qu’en vertu d’une loi antérieurement établie, et légalement appliquée.

Art. II. Tout homme étant innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée. »

Le discours qui expose les principes de ces 2 articles peut-être lu en partie dans le journal La Veillée d’un Français (du 23 aout 1789) et dans le Courrier de Provence (du 22 aout 1789). Nous reproduirons un extrait des deux pour signaler, que si les mots rendus change, l’idée qui conduit le discours reste la même : le droit à un procès humain et équitable

Veillée d’un Français, 23 aout 1789 : « Rien n’honore plus une nation que la douceur de sa législation préliminaire. C’est ainsi qu’en Angleterre la loi inspire des sentiments généreux & libres ; malgré l’abolition de la question, on peut nous reprocher encore les procédures secrètes… »

Courrier de Provence, 22 aout 1789 : « Vainement avons-nous aboli la question, tant que nos procédures demeureront secrètes (…) nous ne pourront nous honorés du nom d’Hommes libres. »

Nous ne saurions donc établir un principe d’individualisation des peines pour réclamer notre bon droit : l’éligibilité à l’élection présidentielle.

Nous saurions en revanche établir un principe de procès équitable. Le législateur à l’origine du code de procédure civile ne s’y trompe pas lorsqu’il déclare à l’article 14 « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ». Il ne fait qu‘énoncer le principe visible derrière l’adoption des articles 8 et 9 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’abolition avec les procédures secrètes, de l’arbitraire.

Or est-ce un procès équitable que celui qui retire son droit d’éligibilité à une personne sans autre forme de procès que celle que nous avons déjà décrit, où les accusés ne sont pas, pour la plupart, entendu ni par les jurés, ni par le juge.

Un jugement équitablement rendu peut seul entreprendre sur la liberté.

Il ne devrait jamais se faire sentir le besoin de prouver que les représentants de la Nation doivent se présenter à la souveraineté du suffrage sans être victime de l’arbitraire. La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum, nous dit l’article 3 de la constitution de 1958. Il n’est aucune puissance, il n’est aucune fonction publique, exécutive, législative, judiciaire et administrative qui n’émane d’elle. Mais comment le peuple peut-il élire librement ses représentants si l’arbitraire limite son choix ? Le droit de présenter, ce droit d’exclure, c’est l’arbitraire contre la liberté individuelle, contre l’égalité, et contre la souveraineté nationale toute entière.

Victrix causa diis placuit sed victa Catoni, écrivait le poète latin. La cause du vainqueur plait aux dieux mais celle du vaincu plait à Caton. L’abolition du droit de présenter est une cause juste, ne craignons pas de déplaire au conseil des sages.

4 commentaires sur « Petit plaidoyer pour l’abolition du droit des élus de présenter un candidat dans le cadre de l’élection de la présidence de la République Française »

  1. Oui, c’est un ARGUMENTAIRE pour dénoncer le fait que les parrainages ne sont pas CONSTITUTIONNELS !!!

  2. C’est pas tout de dénoncer et de se plaindre… vous proposez quoi d’autre en fait ?

    1. Extrait du compte rendu du 16/02/2022 : « L’action du collectif se limitera à la construction du dossier argumenté d’accusation de la procédure présidentielle, à l’exclusion de l’élaboration de toute proposition de procédure de remplacement. Le collectif devra veiller à ce que ce parti pris méthodologique ne soit pas confondu avec une validation implicite de l’état de la procédure avant le référendum de 1962« . Il appartiendra donc à d’autres initiatives de proposer une procédure différente.

  3. Proposition d’ajout de la référence au principe d’égalité au plaidoyer
    Texte proposé à l’insertion entre
    […]
    Aucune préséance ne peut être revendiquée sur l’élection par aucun dépositaire, élu ou non, d’une fonction publique.
    et
    Néanmoins, l’honnêteté intellectuelle […]
    Partie proposée à l’ajout :
    «
    Ceci constituerait une violation flagrante du principe d’égalité au regard de la loi visé par l’article 6 de la Déclaration de 1789. Principe cardinal ici, puisque le rédacteur a jugé bon de le répéter dans la même phrase par les mots « égaux » et « également ». Le « également », inutile sinon, souligne ici un principe de capacité identique pour tous les citoyens. Nonobstant les autres arguments des réclamants, c’est en premier lieu l’application de ce principe qui justifie notre requête.
    »

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